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Septième veillée

Peut-être qu’elle fut tentée un petit moment de me faire oublier, par des coquetteries, cette petite revenante que j’avais dans la tête, et qui, plus que de raison, lui portait ombrage ; mais après deux ou trois mots de badinage, elle répondit à mes reproches : — Non, Tiennet, je ne te ferai pas un tort d’avoir eu des yeux pour une jolie fille, quand la chose est innocente et naturelle comme tu me la racontes ; mais cette bêtise-là, dont nous venons d’amuser nos esprits, a tourné le mien, je ne sais comment, à des réflexions sérieuses sur toi et sur moi. Je suis coquette, mon bon cousin ; je sens cette fièvre-là jusque dans la racine de mes cheveux ; je ne sais point si j’en guérirai ; mais, telle que me voilà, je ne songe à l’amour et au mariage que comme à la fin de toute aise et de toute fête. J’ai dix-huit ans, et c’est déjà l’âge de réfléchir : Eh bien, la réflexion ne me vient encore que comme un coup de poing dans l’estomac ; tandis que toi, dès l’âge de quinze ou seize ans, tu t’es déjà questionné sur la manière d’être heureux en ménage. Et là-dessus, ton cœur simple t’a fait une réponse juste : c’est qu’il te fallait une bonne amie simple et juste comme toi-même, et sans malice, fierté ni folie. Or je te tromperais vilainement si je te disais que je suis ton fait. Que ce soit caprice ou défiance, je ne me sens portée pour aucun de ceux que je peux choisir, et je ne voudrais pas répondre de changer bientôt. Plus je vas, plus ma liberté et ma gaieté me plaisent. Sois donc mon ami, mon camarade et mon parent ; je t’aimerai comme j’aime Joseph, et mieux encore si tu es plus fidèle à mon amitié ; mais ne songe plus à m’épouser. Je sais que tes parents y seraient contraires, et moi-même je le serais malgré moi, et avec le regret de te mécontenter. Voyons, voilà qu’on nous observe et qu’on court après nous pour déranger le discours trop long que nous faisons ensemble. Veux-tu ne me point bouder, prendre ton parti, et me rester frère ? Si tu dis oui, nous ferons la jaunée