Page:Sand - Les Maitres sonneurs.djvu/133

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mode, les gars maladroits qui n’avaient jamais pu mordre à la mesure, tout se mit en branle, et, pour un peu, la cloche de la paroisse s’y serait mise aussi d’elle-même. Jugez donc une musique, la plus belle qu’on eût ouïe au pays, et qui ne coûtait rien ! même elle paraissait aidée du diable, puisque le cornemuseux ne demandait jamais grâce, et faisait éreinter tout le monde sans se lasser. — J’en veux avoir le dernier ! s’écriait-il, à chaque fois qu’on lui conseillait de se reposer ; je prétends que la paroisse entière y crève et que nous soyons encore tous ici au lever du soleil, moi debout et vaillant, vous autres me demandant merci ! — Et lui de cornemuser, et nous tous de trépigner comme des fous.

La mère Biaude, voyant qu’il y avait là de l’ouvrage et du profit, avait fait apporter des bancs, des tables, du boire et du manger, et comme, de ce dernier article, elle n’était pas assez fournie pour tant de ventres creusés par la danse, un chacun se mit en devoir de livrer aux amis et parents qu’il avait là tout ce que son logis contenait de victuailles pour la semaine. Qui apportait un fromage, qui un sac de noix, qui un quartier de chèvre, ou un cochon de lait, lesquels furent rôtis ou grillés à la cantine vitement dressée. C’était comme une noce où les voisins se seraient invités les uns les autres. Les enfants ne se couchèrent point, on n’eut pas le temps d’y songer, et ils dormirent en tas de moutons sur le bois de travail toujours emmagasiné sur le commun, au bruit enragé de la danse et de la musette qui ne s’arrêtait que le temps d’entonner au cornemuseux une chopine du meilleur vin.

Et tant plus il buvait, tant plus il était gaillard et cornemusait en manière admirable. Enfin, l’appétit venant aux plus solides, Huriel fut forcé de finir, faute de danseurs à contenter ; et, ayant gagné sa gageure de nous enterrer tous, il consentit à souper. Chacun l’invitait et se disputait l’honneur et le plaisir de le