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Les Maîtres sonneurs

paraissait écouter aussi, comme eût fait une personne douée de connaissance.

Comme on ne faisait pas encore attention à nous, Brulette nous retint d’avancer, voulant bien regarder Joseph et prendre connaissance de son état par son air, avant de lui parler.

Joseph était blanc comme un linge et sec comme un bois mort, à quoi nous connûmes bien que le muletier ne nous avait point menti ; mais ce qui nous consola un peu fut de voir qu’il avait grandi quasiment de toute la tête, ce que les gens qui le voyaient tous les jours pouvaient bien n’avoir pas remarqué, et nous expliquait, à nous autres, sa maladie par la fatigue de son croît. Et malgré qu’il avait les joues creusées et la bouche pâle, il était devenu tout à fait joli homme, ayant, malgré sa langueur, les yeux clairs et même vifs comme de l’eau courante, des cheveux fins, qui se séparaient, sur sa figure blême, en manière de bon Jésus, et toute une semblance d’ange du ciel, qui le différenciait d’un paysan autant qu’une fleur d’amandier se différencie d’une amande dans sa carcotte.

Mêmement ses mains étaient blanches comme celles d’une femme, pour ce que, depuis un temps, il n’avait point travaillé, et l’habillement bourbonnais, qu’il avait pris coutume de porter, le faisait ressortir plus dégagé et mieux construit, qu’autrefois ses blaudes de toile de chanvre et ses gros sabots.

Mais quand nous eûmes donné notre première attention à notre ami Joseph, force nous fut de regarder aussi le père d’Huriel, un homme comme j’en ai peu vu de pareils, croyez-moi, et qui, sans avoir étudié, avait une grande connaissance et un esprit qui n’eût point gâté un plus riche et mieux connu. Il était grand et fort homme, de belle prestance comme Huriel, mais plus gros et large d’épaules ; sa tête était pesante et emmanchée de court comme celle d’un taureau. Sa figure n’était point jolie du tout, pour ce qu’il avait le