Page:Sand - Les Maitres sonneurs.djvu/204

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
164
Les Maîtres sonneurs

d’elle, que je venais de voir sortir de sa loge et s’enfoncer dans le bois, je me mis à marcher du côté qu’elle avait pris, allant comme à l’aventure, mais curieux et même envieux de la rencontrer.

Je ne fus pas longtemps sans entendre des soupirs étouffés qui me firent connaître où elle s’était retirée. Ne me sentant plus honteux avec elle, du moment que je ne pouvais rien prétendre dans son chagrin, je m’approchai et lui parlai résolument :

— Belle Thérence, lui dis-je, voyant qu’elle ne pleurait point et seulement tremblait et suffoquait comme d’une colère rentrée, je pense que nous sommes cause, ma cousine et moi, de l’ennui que vous avez. Nos figures vous choquent, et surtout celle de Brulette, car je n’estime pas la mienne mériter tant d’attention. Nous parlions de vous ce matin, et justement je l’ai empêchée de s’en aller de votre loge, où elle pensait bien vous être à charge. Or parlez-moi franchement, et nous nous retirerons ailleurs ; car si vous avez mauvaise opinion de nous, nous n’en sommes pas moins bien intentionnés pour vous et craintifs de vous occasionner du déplaisir.

La fière Thérence parut comme outrée de ma franchise, et, se levant de l’endroit où je m’étais assis auprès d’elle :

— Votre cousine veut s’en aller ? dit-elle d’un air de menace ; elle veut me faire honte ? Non ! elle ne le fera point !… ou bien…

— Ou bien quoi ? lui dis-je, déterminé de la confesser.

— Ou bien je quitterai les bois, et mon père, et ma famille, et je m’en irai mourir seule en quelque désert !

Elle parlait comme dans la fièvre, avec l’œil si sombre et la figure si pâle, qu’elle me fit peur. — Thérence, lui dis-je en lui prenant très-honnêtement la main et en la forçant à se rasseoir, ou vous êtes née