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Les Maîtres sonneurs

et du reproche en même temps. Thérence en fut un peu apaisée et lui dit d’une manière plus douce :

— Pardonnez-moi, Brulette, si je vous ai fait de la peine ; mais, véritablement, je ne me le reprocherai point, si je vous amène à de meilleurs sentiments. Voyons, convenez que votre conduite a été fausse et votre cœur dur. Je ne sais pas si c’est la coutume en vos pays de se faire désirer avec l’intention de se refuser ; mais moi, pauvre fille sauvage, je trouve le mensonge criminel et ne comprends rien à ces manèges-là. Or donc, ouvrez les yeux sur le mal que vous faites. Je ne vous dirai pas que mon frère y succombera : c’est un homme trop fort et trop courageux, il est aimé de trop de filles qui vous valent bien, pour ne pas en prendre son parti : mais ayez pitié du pauvre Joset, Brulette ! Vous ne le connaissez point, encore que vous ayez été élevée avec lui ; vous l’avez jugé imbécile, et c’est au contraire un grand esprit. Vous le croyez froid et indifférent, tandis qu’il est rongé d’une tristesse qui prouve le contraire : mais son corps est trop faible et ne saura tenir contre le chagrin, si vous l’abusez. Donnez-lui votre cœur comme il le mérite, c’est moi qui vous en prie et qui vous maudirai si vous le faites mourir !

— Est-ce que vous pensez ce que vous me dites là, ma pauvre Thérence ? répondit Brulette en la regardant à travers les yeux. Si vous voulez savoir le fond de mon idée, je crois que vous aimez Joseph et que je vous donne, malgré moi, une forte jalousie qui vous porte à me chercher des torts. Eh bien, regardez-y mieux, mon enfant, je ne veux point rendre ce garçon amoureux de moi, je n’y ai jamais songé, et je regrette qu’il le soit. Je suis même toute portée à vous aider à l’en guérir, et si j’avais su ce que vous me faites voir, je ne serais point venue ici, encore que votre frère m’eût dit la chose être nécessaire.

— Brulette, dit Thérence, vous me croyez bien peu