Page:Sand - Les Maitres sonneurs.djvu/232

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ravoir, je pense que vous feriez bien de le lui rendre, puisque vous l’avez à votre collier.

— À la bonne heure, Brulette, dit Thérence, et pour cette parole, je vous embrasse. Dormez en paix, je pars !

— Je ne dormirai pas, répondit Brulette, je prierai Dieu de vous assister jusqu’à ce que je vous voie de retour.

J’entendis Thérence sortir doucement de sa loge, et j’en fis autant, une minute après. Je ne pouvais point m’accommoder la conscience de l’idée que cette belle jeunesse allait ainsi s’exposer toute seule aux dangers de la nuit, et que, par crainte pour moi-même, je ne ferais pas ce qui était en moi pour lui porter assistance. Les gens qu’elle allait trouver ne me paraissaient pas si commodes et si bons chrétiens qu’elle le disait, et d’ailleurs, ils n’étaient peut-être pas les seuls à battre les bois à cette heure. Notre danse avait attiré des gredots, et l’on sait que tous ceux qui demandent la charité ne la font pas aux autres quand l’occasion du mal leur est belle. Et puis, je ne sais pas pourquoi la figure rouge et luisante du frère carme, qui avait si bien fêté mon vin, me revenait en mémoire. Il m’avait semblé ne pas baisser souvent les yeux quand il passait auprès des filles, et je ne savais point ce qu’il était devenu dans la bagarre.

Mais comme Thérence avait témoigné à Brulette ne vouloir point de ma compagnie pour aller trouver les muletiers, souhaitant ne pas lui déplaire, je me déterminai de la suivre à portée de l’ouïe, sans me montrer à elle, si elle n’avait pas occasion de crier à l’aide. À cette fin, je lui laissai donc prendre environ une minute d’avance, mais pas davantage, encore que j’eusse aimé à tranquilliser Brulette en lui disant mon dessein ; j’aurais craint de me retarder et de perdre la piste de la belle des bois.

Je la vis traverser la clairière et entrer dans le taillis