Page:Sand - Les Maitres sonneurs.djvu/243

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ramené ici. Je ne voulais ni être vu de Brulette, ni lui parler, parce que j’avais remarqué le tourment qui serrait le cœur de Joseph à mon endroit ; mais je savais que Joseph n’avait pas ses forces pour la défendre, et que Malzac était assez sournois pour s’échapper aussi de toi.

» Je suis donc venu ici au commencement de la fête, et je me suis tenu caché aux alentours de la danse, me promettant de partir sans me faire voir, si Malzac n’y venait point. Tu sais le reste jusqu’au moment où nous avons pris le bâton. Dans ce moment-là, j’étais en colère, je le confesse ; mais pouvait-il en être autrement, à moins de valoir autant qu’un saint du paradis ? Cependant, je ne voulais que donner une correction à mon ennemi, et ne pas laisser dire plus longtemps, surtout dans un moment où Brulette était au pays, qu’à force d’être doux et patient, j’étais un lièvre. Tu as vu que mon père, qui est las de pareils propos, ne m’a pas empêché de prouver que je suis un homme ; mais il faut que je sois doué d’une mauvaise chance, puisque à mon premier combat, et quasi de mon premier coup… Ah ! Tiennet ! on a beau avoir été forcé, et sentir en soi-même qu’on est doux et humain, on ne se console pas aisément, j’en ai peur, d’avoir eu la main si mauvaise ! Un homme est un homme, si mal appris et mal embouché qu’il soit : celui-là était peu de chose de bon, mais il aurait eu le temps de s’amender, et voilà que je l’ai envoyé rendre ses comptes avant qu’il les eût mis en ordre. Aussi Tiennet, tu me vois, je t’assure, bien dégoûté de l’état de muletier, et je reconnais, à présent, avec Brulette, qu’il est malaisé à un homme juste et craignant Dieu de s’y maintenir en estime avec sa conscience et l’opinion des autres. Je suis obligé d’y passer encore un temps, à cause des engagements que j’ai pris ; mais tu peux compter que le plus tôt possible, je m’en retirerai et prendrai quelque autre métier plus tranquille.