Page:Sand - Les Maitres sonneurs.djvu/248

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

j’aurais, pour un rien, perdu ma connaissance ; mais, en même temps que mon corps s’en allait défaillant, mon cœur devenait chaud et mes yeux ne lâchaient point de regarder le combat. Quand Huriel a abattu son homme et qu’il est resté debout, il m’a passé un vertige, et, si je ne me fusse retenu, j’aurais crié victoire, et mêmement chanté comme un fou ou comme un homme pris de vin. J’aurais couru l’embrasser si j’avais pu ; mais tout s’est dissipé, et, en revenant ici, j’étais brisé dans tous mes os, comme si j’eusse porté et reçu les coups.

— N’y pensez plus, dit Thérence, ce sont de vilaines choses à voir et se remémorer. Je gage que vous en avez mal rêvé ce matin ?

— Je n’en ai rêvé ni bien ni mal, dit Joseph ; j’y ai songé, et me suis senti peu à peu tout réveillé dans mes idées, et tout raccommodé dans mon corps, comme si l’heure était venue pour moi d’emporter mon lit et de marcher, à la manière de ce paralytique dont il est parlé aux Évangiles. Je voyais Huriel devant moi, tout brillant de lumière, et me reprochant ma maladie comme une lâcheté de mon esprit. Il avait l’air de me dire : « Je suis un homme, et tu n’es qu’un enfant ; tu trembles la fièvre pendant que mon sang est en feu. Tu n’es bon à rien, et moi je suis bon à tout pour les autres et pour moi-même ! Allons, allons, écoute cette musique… » Et j’entendais des airs qui grondaient comme l’orage, et qui m’enlevaient sur mon lit, comme le vent enlève les feuilles tombées. Tenez, Brulette, je crois que j’ai fini d’être lâche et malade, et que je pourrais, à présent, aller au pays, embrasser ma mère et faire mon paquet pour partir, car je veux voyager, apprendre, et me faire ce que je dois être.

— Vous voulez voyager ? dit Thérence, qui s’était allumée de contentement comme un soleil, et qui redevint blanche et brouillée comme la lune d’automne. Vous espérez trouver un meilleur maître que mon père,