Page:Sand - Les Maitres sonneurs.djvu/272

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j’ai regret d’avoir été jusqu’à cette heure, peu portée à m’occuper de ce petit monde-là.

— En effet, lui dis-je ; tu ne me parais point née à ce métier, et je ne comprends pas que ton grand-père, lequel je n’ai jamais connu intéressé, te donne une pareille charge pour quelques écus de plus au bout de l’année.

— Tu parles comme un riche, reprit-elle. Songe que je n’ai rien en dot, et que la peur de la misère est ce qui m’a toujours détournée du mariage.

— Voilà une mauvaise raison, Brulette ; car tu as été et tu seras encore recherchée par de plus riches que toi, qui t’aiment pour tes beaux yeux et ton joli ramage.

— Mes beaux yeux passeront, et mon joli ramage ne me servira de rien quand la beauté s’en ira. Je ne veux pas qu’on me reproche, au bout de quelques années, d’avoir dépensé ma dot d’agréments et de n’en avoir pas apporté une plus solide dans le ménage.

— C’est donc que tu penses pour de bon à te marier, depuis que nous sommes revenus du Bourbonnais ? Voici la première fois que je t’entends faire des projets d’épargne.

— Je n’y pense pas plus que je n’y pensais, répondit-elle d’un ton moins assuré qu’à l’ordinaire ; mais je n’ai jamais dit que je voulusse rester fille.

— Si fait, si fait, tu penses à t’établir, lui dis-je en riant. Tu n’as pas besoin de t’en cacher avec moi, je ne te demande plus rien, et ce que tu fais en te chargeant de ce petit malheureux riche que voilà, lequel a des écus et point de mère, me marque bien que tu veux faire ton meuriot[1]. Sans cela, ton grand-père, que tu as toujours gouverné comme s’il était ton petit-fils, ne t’aurait pas forcé la main pour prendre un pareil gars en sevrage.

Brulette prit alors l’enfant pour l’ôter de dessus la

  1. Provision de fruits qu’on fait mûrir après la cueillette.