Page:Sand - Les Maitres sonneurs.djvu/310

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comme une fille sans souci et sans honte qui le tourmenterait de quelque lâche folleté d’amour ?

— Eh quoi, dis-je, est-ce que Joseph, qui n’a passé que vingt-quatre heures avec nous, n’est pas retourné auprès de vous autres, pour, à tout le moins, vous dire ses desseins et faire ses adieux ? Depuis qu’il nous a quittés, nous n’avons point eu de nouvelles de lui.

— Si vous n’en avez point eu nouvelles, reprit Thérence, je vas vous en dire. Joseph est retourné en nos bois sans nous voir, sans nous parler. Il est venu nuitamment comme un voleur qui a honte du soleil. Il est entré en sa loge pour prendre sa cornemuse et ses effets, et il est parti sans saluer le seuil de la cabane de mon père, sans seulement détourner la tête de notre côté. Je l’ai vu, je ne dormais pas. J’ai suivi de l’œil toutes ses actions, et quand il a été enfoncé dans le bois, je me suis sentie aussi tranquille qu’une morte. Mon père m’a réchauffée au soleil du bon Dieu et de son grand cœur. M’emmenant avec lui dans la lande, il m’a parlé tout un jour, ensuite toute une nuit, jusqu’à ce qu’il m’ait vue prier et dormir. Vous connaissez un peu mon père, mes chers amis, mais vous ne pouvez pas savoir comme il aime ses enfants, comme il les console, comme il sait trouver tout ce qu’il faut leur dire pour les rendre semblables à lui, qui est un ange du ciel caché sous l’écorce d’un vieux chêne.

» Mon père m’a guérie ; sans lui, j’aurais méprisé Joseph ; à présent, je ne l’aime plus, voilà tout !

Et, finissant ainsi, Thérence essuya encore son beau front, mouillé de sueur, reprit son haleine, embrassa Brulette, et me tendit, en riant, une grande main blanche et bien faite, dont elle secoua la mienne avec la franchise qu’un garçon eût pu y mettre.