Page:Sand - Les Maitres sonneurs.djvu/348

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— Oui, je le sais, père Bastien ; mais…

— Tais-toi, car, moi aussi, je le sais. Voyant mon fils changer de couleur, et Joseph se sauver dans le bois d’un air tout singulier, j’allai après lui et lui commandai de me dire quel secret il venait de raconter à Huriel. « Mon maître, dit Joseph, je ne sais pas si j’ai bien ou mal fait ; j’ai cru y être obligé, et voilà ce que c’est ; je vous le dois pareillement. » Là-dessus, il me raconta avoir reçu une lettre de son pays, où on lui apprenait que Brulette élevait un enfant qui ne pouvait être que le sien ; et, me disant cela avec beaucoup de souffrance et de dépit, il me conseilla fortement de courir après Huriel pour l’empêcheur d’aller faire une grande sottise, ou boire une grosse honte.

» Quand je l’eus questionné sur l’âge de l’enfant, et qu’il m’eut fait lire la lettre qu’il avait toujours sur lui, comme s’il eût voulu porter ce remède sur la blessure de son amour, je ne me sentis pas du tout persuadé qu’on ne se fût point moqué de lui, d’autant que le garçon Carnat, qui lui écrivait cette chose, en réponse à une avance de Joseph pour se faire honnêtement agréer sonneur de musette en son pays, paraissait y avoir mis de la malice pour empêcher son retour. Puis, me rappelant la décence et la modestie de la petite Brulette, je me persuadai de plus en plus qu’on lui faisait injure, et ne pus m’empêcher de railler et de blâmer Joseph pour avoir cru si légèrement à une affaire si vilaine.

» J’aurais sans doute mieux fait, mon bon Tiennet, de le laisser, méprise ou non, dans la croyance que Brulette était indigne de son attachement ; mais que veux-tu ? l’esprit de justice conduisait ma langue et m’empêchait de songer aux conséquences. J’étais si mécontent de voir diffamer une pauvre honnête fille, que je parlais comme je m’y sentais poussé. Cela fit sur Joseph plus d’effet que je n’aurais cru. Il tourna vitement