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Les Maîtres Sonneurs

— Il est temps que ces histoires-là finissent. Voilà ma cousine qui s’en est tant laissé dire, qu’elle tient Joset pour un loup-garou, et il faut s’expliquer, à la fin !

— Qu’il soit donc fait selon ton vouloir, répondit Joseph, car je suis fatigué de passer pour sorcier, et j’aime encore mieux passer pour imbécile.

— Non, tu n’es ni imbécile ni fou, reprit Brulette, mais tu es bien obstiné, mon pauvre Joset ! Sache donc, Tiennet, que ce gars-là n’a rien de mauvais dans la tête, sinon une fantaisie de musique qui n’est pas si déraisonnable que dangereuse.

— Alors, répondis-je, je comprends ce qu’il me disait tout à l’heure ; mais où diable a-t-il pris pareille idée ?

— Un petit moment ! reprit Brulette ; ne le fâchons pas injustement ; ne te dépêche pas de dire qu’il est incapable de musiquer ; car tu penses peut-être, comme sa mère et comme mon grand-père, qu’il a l’esprit bouché à cela, comme autrefois au catéchisme. Moi, je dirai que c’est toi, et mon grand-père, et la bonne Mariton qui n’y connaissez rien. Joseph ne peut chanter, non qu’il soit court d’haleine, mais parce qu’il ne fait point de son gosier ce qu’il veut ; et comme il ne se contente point lui-même, il aime mieux ne jamais faire usage de sa voix, qui lui est rétive. Alors, bien naturellement, il souhaite de musiquer sur un instrument qui ait une voix en place de la sienne, et qui chante tout ce qui vient dans son idée. C’est pour avoir toujours manqué de cette voix d’emprunt, que notre gars a toujours été triste, ou songeur, ou comme ravi en lui-même.

— C’est tout justement comme elle te le dit ! m’observa Joseph, qui paraissait soulagé d’entendre cette belle jeunesse le débarrasser de ses pensées en les rendant compréhensibles pour moi. Mais ce qu’elle ne te dit point, c’est qu’elle a une voix en ma place, et une voix si douce, si claire, et qui dit si justement les choses