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Les Maîtres Sonneurs

la nuit, dans des endroits non fréquentés où il flûte à sa guise ; et quand je lui demande de flûter pour moi, il me répond qu’il ne sait pas encore ce qu’il veut savoir, et qu’il m’en régalera quand ça en vaudra la peine. Voilà pourquoi, depuis qu’il a inventé ce flûteriot, il s’absente tous les dimanches, et quelquefois sur la semaine, pendant la nuit, quand sa musique le tient trop fort.

Tu vois, Tiennet, que toutes ces affaires-là sont bien innocentes ; mais c’est à présent qu’il faut nous expliquer tous les trois, mes amis ; car voilà Joset qui se met dans la volonté d’employer son premier gage (ayant jusqu’à cette heure tout donné en garde à sa mère) à faire achat d’une musette, et comme il dit qu’il est mince ouvrier, et que son cœur voudrait retirer la Mariton de ses fatigues, il prétendrait se faire cornemuseux de son état, parce que, de vrai, on y gagne gros.

— L’idée serait bonne, dit ma sœur, qui nous écoutait, si, pour de vrai, Joseph avait le talent ; mais, avant d’acheter la musette, m’est avis qu’il faudrait s’assurer de la manière de s’en servir.

— Ça, c’est affaire de temps et de patience, dit Brulette ; mais là n’est point l’empêchement. Est-ce que vous ne savez pas que voilà, depuis un tour de temps, le garçon à Carnat qui s’essaye aussi à cornemuser, à seules fins de garder au pays la place de son père ?

— Oui, oui, répondis-je, et je vois ce, qui en résulte. Carnat est vieux, et on aurait pu avoir sa succession ; mais son fils, qui la veut, la gardera, parce qu’il est riche et bien appuyé dans le pays ; tandis que toi, Joset, tu n’as encore ni argent pour acheter ta musette, ni maître pour t’enseigner, ni amis de ta musique pour te soutenir.

— C’est la vérité, répondit Joset tristement. Je n’ai encore que mon idée, mon roseau et elle !