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lettres à marcie

qui s’y est glissée, en intervertissant l’ordre naturel, en donnant à la femme les mêmes attributions qu’à l’homme ? La société est pleine d’abus. Les femmes se plaignent d’être asservies brutalement, d’être mal élevées, mal conseillées, mal dirigées, mal aimées, mal défendues. Tout cela est malheureusement vrai. Ces plaintes sont justes, et ne doutez pas qu’avant peu mille voix ne s’élèvent pour remédier à ces maux. Mais quelle confiance pourraient inspirer à des juges intègres des femmes qui, se présentant pour réclamer la part de dignité qu’on leur refuse dans la maison conjugale, et surtout la part sacrée d’autorité qu’on leur refuse sur leurs enfants, demanderaient pour dédommagement, non pas la paix de leur ménage, non pas la liberté de leurs affections maternelles, mais la parole au forum, mais le casque et l’épée, mais le droit de condamner à mort ?

Vous m’avez entraîné sur le terrain de la discussion, et j’en ai trop dit sur ce sujet ; je me suis donné trop de peine pour combattre en vous une rêverie qui a pu traverser un instant votre esprit dans un jour de souffrance et d’exaltation maladive. Je me suis bien écarté de mon sujet principal, qui était de vous réconcilier, s’il se peut, avec votre situation personnelle. Vous souffrez de votre isolement. Le mariage, la famille vous présentèrent d’abord un tableau digne de vos plus nobles aspirations, je le conçois. Mais je ne concevrais pas qu’il y eût dans les hallucinations de la vanité féminine un rêve digne de vous. Dans tous les cas, ce rêve est irréalisable, celui de vivre un jour en famille ne l’est pas, et votre malheur présent n’est que l’ennui et l’effroi de l’attente ! Pauvre âme, ayez patience et ne perdez pas courage ; il me paraît