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CARL


I


Après la mort de Carl, le séjour de Vienne me devint insupportable, et, résolu à me distraire, je partis seul et à pied pour les montagnes. Je parcourus la Misnie, je contemplai ses plus beaux sites sans y retrouver les mêmes impressions qu’autrefois. L’ennui et l’effroi de la solitude m’y poursuivirent. Je me débattais contre mon chagrin avec une folle inquiétude ; c’était le premier de ma vie, et j’ignorais que, de tout ce qui passe, le souvenir des morts est ce qui s’efface le plus vite. Aujourd’hui, lorsque je songe à mon pauvre Carl, je me sens tout honteux et tout repentant de la précipitation avec laquelle j’ai pu me jeter dans des sentiers nouveaux, caresser des espérances qu’il n’avait pas partagées, me livrer à des soins qu’il n’avait ni connus ni désirés. Je suis effrayé de la brièveté de mon deuil, et, si je puis me le pardonner, c’est en reportant mes regards sur les événements subséquents de ma vie ; c’est en m’assurant bien que mon âme, comme celle de tous les hommes, est un sol changeant, jonché tantôt de fleurs, tantôt de feuil-