Page:Sand - Les Sept Cordes de la lyre.djvu/252

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prodigué les siens au péril de sa vie ? Que serais-je devenu s’il m’eût abandonné quelques jours auparavant, lorsque j’étais comme lui plongé dans un sommeil qui ressemblait à la mort ?

— Ô Carl, ô toi qui n’es plus sur la terre, m’écriai-je, ô le plus inspiré des artistes, ô le meilleur des amis ! cette criminelle pensée ne te fût pas venue, et, si ton âme plane sur moi, sans cesse, comme je l’ai cru voir dans les révélations de la fièvre, elle s’indigne, à l’heure qu’il est, de découvrir ce mouvement d’ingratitude. Ô Carl ! que ton ombre veille sur moi et sur mon triste compagnon ! que ton souvenir protége cette chétive et infortunée créature, à qui Dieu réserva ton nom, sans doute pour qu’elle me fût à jamais sacrée !…

Je sentis une larme baigner ma paupière, et, cédant à un mouvement instinctif, je tirai ma flûte de son étui et je la fis résonner pour la première fois depuis la mort de Carl. Jusque-là, il m’avait été impossible d’entendre un son musical sans être irrité dans tous mes nerfs. En cet instant, je me sentis, au contraire, inondé d’une volupté mélancolique, en faisant redire à plusieurs reprises aux échos tyroliens cette phrase d’un chant religieux, dernière pensée musicale de mon ami, au milieu de laquelle il avait été surpris par la mort[1].


{   \key d \major
    \time 4/4 d'''4 fis'''2(fis'''8.[)(d'''16] d'''8.[cis'''16]e'''8.[b''16]b''4)(a''8[)(g'''8] \break fis'''8[e'''8d'''8cis'''8]b''4.)d'''8( d'''2 cis'''2 d'''4) \bar "|."
}
  1. Cette phrase musicale a été donnée à George Sand par Halévy.