Page:Sand - Les Sept Cordes de la lyre.djvu/257

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aux croisées interrompait seul le silence ; Carl dormait dans son confessionnal. J’eus beaucoup de peine à l’éveiller ; il n’avait rien entendu, et je n’osai pas insister sur mes questions dans la crainte de lui sembler fou. Nous gagnâmes une auberge ; un peu de nourriture répara mes forces ; je me jetai sur un lit, où je dormis quelques heures assez tranquillement. Néanmoins, cette nuit m’avait laissé une si fâcheuse impression, que je m’obstinai à quitter F…, bien que la journée fût avancée, et qu’il fallût faire quatre lieues pour coucher à T…

À peine étions-nous à la moitié du trajet, qu’un vent violent s’éleva ; l’horizon était chargé d’une zone violette qui envahit le ciel avec rapidité ; de larges gouttes de pluie commencèrent à trouer la neige dont le fragile rempart bordait notre chemin, car nous étions alors au passage le plus élevé du mont Brenner, et, quoique nous fussions en plein été, un froid piquant se faisait sentir. Bientôt le tonnerre gronda et le vent devint si violent, que nous avions de la peine à marcher. Il fallait se hâter pourtant : nous traversions la région des glaces, et Carl disait que, si nous pouvions atteindre sans accident la région située au bas des rochers, les forêts de sapins nous préserveraient des avalanches. Nous eûmes le bonheur de sortir sans accident de ce défilé périlleux ; l’orage se calmait, et nous nous croyions sauvés, lorsqu’une nuée rougeâtre creva au-dessus de nous et nous assaillit d’une grêle si forte, que nous eussions été meurtris et défigurés sans l’abri d’une grotte où nous nous réfugiâmes. Des torrents de pluie succédèrent à la grêle ; et, quand il nous fut possible de quitter la grotte, le soleil était couché. Le ciel, couvert de nuées