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le dieu inconnu

— Ô ma maîtresse, ne crains pas de mourir, car voici ta jeunesse qui refleurit sur ton visage. Ton œil brille, ta lèvre s’empourpre ; le Dieu de Galilée a fait un prodige en ta faveur, et, si les hommes te voyaient en ce moment, ils abandonneraient toutes les femmes pour s’incliner devant toi. Lève-toi donc, fais préparer ton char ; je vais nouer et orner tes cheveux, César lui même t’adorera aujourd’hui.

Léa contempla son image dans le métal étincelant ; puis, laissant retomber son bras affaibli :

— Si le Dieu de Galilée me rendait la vie, je ne voudrais pas retourner parmi les hommes. Je ne voudrais pas que ma beauté, rajeunie par son amour mystérieux, devînt le trophée souillé d’un mortel contempteur. Je sens que je meurs, et que je vais rejoindre le foyer d’impérissable beauté appelé par le divin Platon le souverain bien. Lui aussi, il a placé aux cieux la source d’amour et de perfection… — Ô prêtre ! cette eau que tu verses sur mon front n’est-elle pas l’emblème de la source inépuisable où je vais me désaltérer ?

— Oui, ma fille, répondit le prêtre.

Et, lui parlant de rédemption et d’espérance, il la vit mourir avec le sourire sur les lèvres. Le calme qu’elle avait trouvé en se vouant au culte du Dieu inconnu, et la tranquillité de son heure dernière, frappèrent tellement l’esclave noire, qu’elle suivit Eusèbe à la crypte des chrétiens et embrassa la religion du consolateur des amantes et du rédempteur des esclaves.