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la fille d’albano

usage de cosmétiques pour pâlir ton coloris oriental ?… Oh ! calme-toi, ton époux est charmant, ta belle-mère parfaite… On se résigne à toi, on t’admet sans reproches. Sais-tu bien, maintenant, les devoirs que ta condition t’impose ? Connais-tu l’esclavage ? As-tu passé une heure entière dans une prison, et sais-tu que la vie est longue ? Tiens, regarde ces fossés qui n’ont plus d’eau, ces bastions écroulés, cette herse qu’on ne baisse plus ; autrefois, c’est ainsi que l’on gardait les femmes… Dans la cour, des hommes d’armes, des préparatifs de combat ; de l’autre côté du mur, la guerre et les dangers, les meurtriers ou les ravisseurs, le trépas ou l’infamie. C’était peu de chose, après tout, tant qu’il y avait un beau page dans le château et un mari en Palestine. Eh bien, aujourd’hui, il y a des entraves plus fortes pour la femme que le fer des lances et la pierre des fortifications : le préjugé, l’usage ! Voilà vos liens, et malheur à celle qui les brise ! Il lui reste du mépris dans le cœur des femmes, et, dans celui des hommes, un amour qui outrage. Adieu donc la liberté ! La récolte manquera, ou la faveur du ministre ; puis ta belle-mère aura la goutte, il faudra soigner l’héritage d’un oncle riche et cacochyme… Et, lorsque tu seras sur le point de donner un fils à ton heureux époux, dans la crainte de voir s’évanouir une espérance aussi chère (car une femme comme toi ne pourra devenir mère à la manière du peuple), une prudence féroce t’imposera les ennuis rongeurs d’une captivité de six mois, et sacrifiera sans pitié les beaux jours de ta jeunesse à l’espoir incertain d’un rejeton illustre, déjà vicomte dans ton sein… Adieu l’avenir !… adieu le laurier du concours !… adieu l’Italie !