Page:Sand - Les Sept Cordes de la lyre.djvu/298

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
288
la fille d’albano

poignant, la torture, la fin atroce d’une âme active, viendront ternir pour lui ce faux éclat de bonheur qu’en vain promet la vie positive. Ah ! tu l’avais tant promis, de n’être jamais qu’artiste ! Tu étais si fière de ta liberté, de tes mœurs pures et larges comme la bonne foi, calmes comme la conscience forte ! C’était bien la peine de refuser ce pauvre Henriquez, qui t’aurait donné jusqu’à son dernier pinceau, qui te plaçait dans toutes les créations de son jeune talent ! Mais tu le sacrifias à sa gloire et à la tienne ; tu brisas ton cœur et le sien, et, maintenant qu’il a conquis le succès sous le ciel de sa patrie, il te bénit, il te rêve encore jeune et belle sous les murs de l’Alhambra, il te pleure en même temps qu’il te remercie de l’avoir sauvé. Te souviens-tu du jour où tu vis son visage pâlir à ton refus, et son enthousiasme se rallumer ensuite à l’avenir de peintre et d’indépendance que tu lui déroulais avec feu ? « Elle a raison ! s’écria-t-il en se tournant vers ses compagnons. Alvarès, Gaetano, Bragos, en Espagne ! — En Espagne ! en Espagne ! disaient-ils avec transport. — À Rome ! » s’écriaient les autres ; et un pauvre plâtre qui représentait l’Amour avec son carquois et son bandeau classiques, fut brisé en éclats comme un holocauste à la liberté. Ah ! comme ils t’aimaient tous, mes braves élèves ! Quel saint respect pour la confiance de ta candeur ! Comme, au bruit de tes pas, les statues se voilaient, les chevalets se renversaient ! Et, quand tu t’asseyais par hasard sur un marbre antique, tes cheveux noirs flottants sur ta mantille, les genoux pliés sous la mandoline émue à l’approche de tes doigts, en moins d’un instant, tu étais représentée sur vingt toiles comme si l’atelier avait eu vingt glaces pour te réfléchir ! Ah ! que tu faisais palpiter de cœurs