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cléopâtre

Cléopâtre la volupté. C’est à cause de cette différence que la reine hait, craint et méprise à la fois la matrone. Elle sent que sa rivale a une vertu qui lui manque, une vertu qu’elle regrette peut-être de ne pas avoir, et dont elle ne voudrait pas, si les dieux la lui offraient ; une vertu dont elle redoute ou dédaigne l’influence sur Antoine, selon qu’elle songe au Romain ou à l’homme.

Le Romain, tout voluptueux, tout passionné, tout spontané qu’il est dans la satisfaction de ses désirs, garde pourtant toujours caché dans le fond de l’âme un souvenir respectueux, presque superstitieux, des idées romaines, et, dans une heure de faiblesse de cœur ou de force d’esprit, il peut sacrifier aux préjugés de son éducation les penchants de sa nature. Mais cette nature est si puissante, si active, si déterminée ! Cet homme a un cœur si chaud, une soif si brûlante d’amour, un besoin si insatiable de volupté !

Cléopâtre, qui connaît toute la puissance de ses séductions, a vingt chances contre une pour triompher de cette rivale qui ne voit dans Antoine qu’un mari et ne sait d’autre moyen de plaire que le devoir. Pourtant sa passion est si forte, qu’une seule chance de perte suffit pour la troubler et l’épouvanter.

Quelle passion, en effet ! quel ciel africain, tour à tour resplendissant de tous les feux du soleil, sillonné des lueurs sinistres de l’éclair, chargé des sombres nuées de l’orage ou doucement humide de la rosée matinale ! Que d’abandon ! que d’adresse ! que de caresses ! que de blessures ! que de terribles colères et de tendres réconciliations ! Il y a de tout dans cette liaison fatale, excepté de la tiédeur. On voit dans de certains instants les deux amants se haïr mortelle-