Page:Sand - Les Sept Cordes de la lyre.djvu/316

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
306
les fleurs de mai

nourrissez de nos cadavres, et nos entrailles ne sont pour vous qu’un engrais ! Mais, hélas ! l’inévitable main de la destinée vous menace vous-mêmes ; le temps approche, peut-être, où l’humanité tout entière sera une armée, où la terre tout entière sera un champ de bataille. Alors, des hordes de spectres affamés ravageront ces jardins où vous croissez pour les délices du poëte. La charrue tranchera vos racines ; la hache nivellera peut-être ces buissons où vous entrelacez vos guirlandes ; et il se passera quelques jours avant que la terre songe à sa beauté, avant que l’homme avide de pain lui redemande des roses. — Ou bien, je fais un plus doux rêve ! Sur les sommets nus et chauves des collines incultes, sur ces vastes landes désertes où vos humbles sœurs, les pâles asphodèles et les sombres fougères croissent au bord des tristes marécages, le trop-plein de la famille humaine, les enfants déshérités de la civilisation, les mendiants et les parias, troupeau du Christ, iront planter dans les terres vierges, avec le pic et la bêche, armes des conquérants pacifiques, le signe sacré d’une religion nouvelle. Là fleuriront alors, sous l’œil de Dieu et sous la main des hommes purifiés, ces dons immortels, la foi, l’amour, l’idéal. Alors, nos vieilles sociétés dissoutes et dévastées par les éléments de destruction qu’elles nourrissent fièrement dans leur sein, ne paraîtront plus que comme d’affreuses solitudes, d’où s’exileront par milliers les âmes pieuses, d’où se détourneront à jamais les grâces d’en haut. Alors, vous aussi, reines orgueilleuses et délicates, roses des parterres, jacinthes sans taches, tulipes enflammées, vous irez dans la demeure des hommes réconciliés vous marier aux naïves fleurs de