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les sept cordes de la lyre

un effort pour se reprendre à la vie matérielle ; mais l’esprit n’aime point à descendre du trône qu’il s’est bâti dans les nuées, pour venir s’éteindre ici-bas dans des luttes obscures et pénibles. Maître, qu’en pensez-vous ? Croyez-vous qu’Hélène, en retrouvant la santé physique, ne sente pas son âme se refroidir et tomber dans une langueur douloureuse ? Croyez-vous qu’elle ne regrette pas ses extases, ses rêves, et ses danses avec Titania au lever de la lune, et ses concerts avec le roi des gnomes au coucher des étoiles ? Quel est celui de nous qui ne donnerait au moins la moitié de sa grosse santé bourgeoise pour avoir à la place les visions dorées de la poésie ?

albertus. Hanz, vous ne parlez pas selon mes sympathies. Êtes-vous un poëte ou un adepte de la sagesse ? Si vous êtes poëte, faites des vers et quittez mon école. Si vous êtes mon disciple, n’égarez pas l’esprit de vos frères par des rêveries fantasques et des paradoxes romantiques. Toutes ces inspirations de la fièvre, toutes ces métaphores délirantes constituent un état de maladie purement physique durant lequel le cerveau de l’homme ne peut produire rien de vrai, rien d’utile, par conséquent rien de beau. Je comprends et je respecte la poésie ; mais je ne l’admets que comme une forme claire et brillante, destinée à vulgariser les austères vérités de la science, de la morale, de la foi, de la philosophie en un mot. Tout artiste qui ne se propose pas un but noble, un but social, manque son œuvre. Que m’importe qu’il passe sa vie à contempler l’aile d’un papillon ou le pétale d’une rose ? J’aime mieux la plus petite découverte utile aux hommes, ou même la plus naïve aspiration vers le bonheur de l’humanité. Les exaltés sont, selon