Page:Sand - Les Sept Cordes de la lyre.djvu/320

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peu qu’on n’ait pas la faculté de regarder à la fois en l’air et devant soi ? où respirer un air pur ? où entendre des harmonies naturelles ? où rencontrer des figures calmes et des allures vraies ? Tout ce qui n’est pas maniéré par l’outrecuidance, ou stupide comme la préoccupation du gain, est triste comme l’ennui, ou affreux comme le malheur. Tout ce qui ne grimace pas pleure, et ce qui par hasard ne grimace ni ne pleure est tellement effacé ou hébété, que les pavés usés par les pas de la multitude ont plus de physionomie que ces tristes faces humaines. Que se passe-t-il donc dans cette ville riche et puissante, pour que la jeunesse y soit flétrie, la vieillesse, hideuse, et l’âge mûr égaré ou sombre ? Regarde ces masures décrépites et puantes auprès de ces palais élevés d’hier. Regarde ce monde d’oisifs qui marche dans l’or, dans la soie, dans la fourrure et dans la broderie ; et, tout à côté, vois se traîner ces haillons vivants qu’on appelle la lie du peuple ! Écoute courir ces légers et brillants équipages ; entends ces cris rauques du travail et ces voix éteintes de la misère ! La plus nombreuse partie de la population condamnée au labeur excessif, à l’avilissement, à la souffrance, pour que certaines castes privilégiées aient une existence molle, gracieuse, poétique et pleine de fantaisies satisfaites ! Oh ! pour voir ce spectacle avec indifférence, il faut avoir oublié qu’on est homme, et ne plus sentir vibrer en soi ce courant électrique de douleur, d’indignation et de pitié qui fait tressaillir toute âme vraiment humaine, à la vue, à la seule pensée du dommage ou de l’injure ressentis au dernier, au moindre anneau de la chaîne.

Mais, où donc, me diras-tu, espérer de fuir ce