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les sept cordes de la lyre

l’absurde tout ce qui les dépasse. De là vient que tous les grands artistes travaillent en martyrs du présent pour l’amour de la postérité ; et, s’ils n’ont une grande vertu, s’ils ne sont d’augustes fanatiques, ils se résignent à divertir leurs contemporains comme des saltimbanques, et à déshériter l’avenir des fruits de leur génie.

albertus. Eh bien, mon enfant, tu fais, sans le savoir, le procès à ces artistes avares de leur gloire, qui divorcent avec le présent pour avoir dans l’avenir une place plus distinguée. Je conçois ce genre d’ambition ; c’est le plus raffiné. Mais, crois-moi, si ces génies étaient bien pénétrés de l’importance de leur mission sur la terre, s’ils étaient dévorés du désir d’accomplir le progrès, ils transigeraient avec leur orgueil, et feraient, pour l’amour de l’humanité, ce qu’avec raison ils refusent de faire pour de vaines richesses et de vaines distinctions sociales. Ils ne rougiraient pas de rétrécir ou d’abaisser leur forme, afin de parler à cette génération vulgaire un langage intelligible pour elle, et de lui inoculer les grandes vérités de l’avenir avec un levain qui puisse s’assimiler à sa grossière substance.

wilhelm. Maître, vous oubliez que l’art est une forme, et rien autre chose. Si on l’abaisse, si on la rétrécit au gré des gens qui n’aiment pas le beau et le grand, il n’y a plus d’art, parce qu’il n’y a plus ni beauté ni grandeur dans la forme.

albertus. Et toi aussi, Wilhelm ! Vraiment, je ne me serais pas douté que j’étais environné de jeunes artistes, et je vois dans ce fait la plus parfaite critique de ma pauvre philosophie.

hanz. Maître, rien n’est plus beau que la philoso-