Page:Sand - Les Sept Cordes de la lyre.djvu/39

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
29
les sept cordes de la lyre

phie ; mais il y a quelque chose d’aussi beau, c’est la poésie. La poésie est à la fois mère et fille de la sagesse.

albertus. Fille, oui ! elle devrait se le tenir pour dit, et ne jamais faire un pas sans sa mère. Mais qu’elle soit mère à son tour, je le nie.

hanz. Maître, le premier homme qui conçut la pensée de Dieu ne fut ni un géomètre, ni un mathématicien, ni un philosophe ; ce fut un poëte.

albertus. C’est possible. Le premier homme qui conçut la pensée de Dieu était encore grossier. Son esprit ne pouvait s’élever jusqu’à la grande cause par l’abstraction. Ses sens lui révélèrent une force extérieure supérieure à la sienne. Ensuite, son intelligence ratifia le jugement des sens, et ne l’invoqua plus. La poésie redevint pour toujours fille de la sagesse.

hanz. Maître, ce ne fut pas le jugement des sens qui révéla l’existence de Dieu à l’homme, ce fut l’instinct du cœur. Le ravissement des sens, à l’aspect de la création, ne fut qu’accessoire à cet élan de l’âme humaine, qui, jetée sur la terre, se sentit forcée aussitôt à rêver, à désirer, à aimer l’idéal. L’esprit était encore trop peu exercé aux subtilités de la métaphysique pour se mettre en peine de prouver Dieu ; mais l’âme était assez complète et assez puissante pour vouloir Dieu. Elle le devina et le sentit longtemps avant de songer à le définir. Cette révélation, cette intuition première, c’est la poésie, mère de toute religion, de toute harmonie, de toute sagesse. Je définis donc, pour me résumer, la métaphysique, l’idée de Dieu ; et la poésie, le sentiment de Dieu.

albertus. Ton explication ne me déplaît pas, et je consens de toute mon âme, cher poëte, à ce que vous soyez mon père. Mais j’exige que vous le prou-