Page:Sand - Lettres d un voyageur.djvu/10

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lecteur, c’est le public ; et s’il n’y avait pas, dans l’exercice d’écrire, un certain charme souvent douloureux, parfois enivrant, presque toujours irrésistible, qui fait qu’on oublie le témoin inconnu et qu’on s’abandonne à son sujet, je pense qu’on n’aurait jamais le courage d’écrire sur soi-même, à moins qu’on n’eût beaucoup de bien à en dire. Or, l’on conviendra, en lisant ces lettres, que je ne me suis jamais trouvé dans ce cas, et qu’il m’a fallu beaucoup de hardiesse ou beaucoup d’irréflexion pour entretenir le public de ma personnalité pendant deux volumes.

Je mentionne tout ceci pour excuser auprès de mes lecteurs, amateurs de romans, habitués à ne me voir faire rien de pis, la malheureuse idée que j’ai eue de me mettre en scène à la place de personnages un peu mieux posés et un peu mieux drapés pour paraître en public. Je viens de le dire : c’est aux époques où mon cerveau fatigué se trouvait vide de héros et d’aventures, que, semblable à un imprésario dont la troupe serait en retard à l’heure du spectacle, je suis venu, tout distrait et tout troublé, en robe de chambre sur la scène, raconter vaguement le prologue de la pièce attendue. Je crois qu’en effet, pour qui s’intéresserait aux secrètes opérations du cœur humain, certaines lettres familières, certains actes, insignifiants en apparence, de la vie d’un artiste, seraient la plus explicite préface, la plus claire exposition de son œuvre.

Que les amateurs de fictions me pardonnent un peu cependant. Dans plusieurs de ces lettres, j’ai travaillé