Page:Sand - Lettres d un voyageur.djvu/118

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

l’amitié est rare et prudente : elle se tire bien mieux d’affaire avec un reproche ou une raillerie qu’avec une larme et un baiser. Oh ! que la tienne soit généreuse et douce ! Répète-moi que ton affection m’a suivi partout, et qu’aux heures de découragement, où je me croyais seul dans l’univers, il y avait un cœur qui priait pour moi et qui m’envoyait son ange gardien pour me ranimer.

Mercredi soir.

Écrivons-nous tous les jours, je t’en prie ; je sens que l’amitié seule peut me sauver.

Je n’en suis pas à espérer de pouvoir vivre. Je borne pour le moment mon ambition à mourir calme et à ne pas être forcé de blasphémer à ma dernière heure, comme cet homme innocent que l’on guillotina dans notre ville il y a quatre ou cinq ans, et qui s’écria sur l’échafaud : Ah ! il n’y a pas de Dieu ! — Tu es religieux, toi, Malgache ; moi aussi, je crois. Mais j’ignore si je dois espérer quelque chose de mieux que les fatigues et les souffrances de cette vie. Que penses-tu de l’autre ? — Voilà ce qui m’arrête. Il m’est bien prouvé que je n’arriverai a rien dans celle-ci, et il n’y a pas d’espoir pour moi sur la terre. Mais trouverai-je le repos après ces trente ans de travail ? La nouvelle destinée où j’entrerai sera-t-elle une destinée calme et supportable ? Ah ! si Dieu est bon, il donnera au moins à mon âme un an de repos ; qui sait ce que c’est que le repos et quel renouvellement cela doit opérer dans une intelligence ! Hélas ! si je pouvais me reposer ici auprès de toi, au milieu de mes amis, dans mon pays, sous le toit où j’ai été élevé, où j’ai passé tant de jours sereins ! Mais la vie de l’homme commence par où elle devrait finir. Dans ses premiers ans il lui est accordé un bonheur et un calme dont il ne jouit que plus tard par le souvenir ; car, avant d’avoir souffert et travaillé, avant d’avoir subi les ans de la virilité, il ne sait pas