Page:Sand - Lettres d un voyageur.djvu/162

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tres me crurent sur parole, parce que j’avais ce que les artistes appellent de la poésie, ce que les soldats appellent de la blague.

Lord Byron donnait alors un grand exemple de ce que peut l’outrecuidance humaine en habillant de pourpre les plus petites vanités et en les enchâssant dans l’or comme des diamants ; ce boiteux monta sur des échasses et marcha par-dessus ceux qui avaient les jambes égales ; cela lui réussit, parce que ses échasses étaient solides, magnifiques, et qu’il savait s’en servir.

Pour nous autres, peuple de singes, nous apprîmes à marcher plus ou moins bien sur les échasses, et même à danser sur la corde, à la grande admiration de plusieurs oisifs qui ne s’y connaissaient pas. Et nous, et moi surtout, malheureux ! je négligeais les pures et modestes jouissances, je méconnaissais les sentiments vrais, je méprisais les vertus simples et obscures, je raillais les dévots, j’encensais la gloire insolente, et, crevant dans mon enflure, je ne pardonnais aux autres aucune faiblesse de caractère, moi qui avais des vices dans le cœur !… Et je ne voulais faire aucun sacrifice ; car rien au monde ne me semblait aussi précieux que mon repos, mon plaisir et la louange.

Or, sais-tu, François, comment après tout cela je suis devenu un vieillard supportable, de mœurs douces, et assez modeste dans ses paroles et dans ses prétentions ? Sais-tu ce qui fait la différence d’un homme corrompu et d’un homme égaré ? Certes, l’un et l’autre ont fait d’aussi sottes et laides choses ; mais l’un cesse et l’autre continue ; l’un vieillit en sabots dans son ermitage, ou en robe de chambre dans sa mansarde avec quelques amis ; tandis que l’autre encravate et parfume chaque soir une momie qui se donne encore des airs de vie, et que l’on trouve un matin en poussière dans un alambic. L’homme qui s’est aperçu trop tard de la mauvaise route, et qui n’a plus la force de retourner sur ses pas, peut du moins s’arrêter, et d’un air