Page:Sand - Lettres d un voyageur.djvu/177

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de paresse coupable de ma part à l’éviter que de véritable modestie.

Ô mon frère ! ceci est un entretien grave, une époque grave dans ma pauvre vie ! je ne suis point venu ici avec un sentiment d’abnégation enthousiaste, mais avec une sérieuse volonté de ne voir en toi que ce qu’il y aurait de vraiment beau. J’étais cuirassé contre les effets magnétiques qui sont toujours à craindre dans un contact avec les hommes supérieurs. Aussi je puis dire que je n’ai point été ébloui par le prestige que tu exerces sur les autres ; les lignes romaines de ton front, la puissance de ta parole, l’éclat et l’abondance de tes pensées ne m’ont jamais occupé. Ce qui m’a touché et convaincu, c’est ce que je t’ai entendu dire, ce que je t’ai vu faire de plus simple, une parole douce et naïve au milieu de la plus vive exaltation, une familiarité brusque et chaste, une exquise pureté dans toutes les expressions et dans tous les sentiments. On ne peut pas inventer de plus folle calomnie contre toi que l’accusation de cupidité. Je voudrais bien que tes ennemis politiques pussent me dire en quoi l’argent peut être désirable pour un homme sans vices, sans fantaisies, et qui n’a ni maîtresses, ni cabinet de tableaux, ni collection de médailles, ni chevaux anglais, ni luxe, ni mollesse d’aucun genre ? C’est beaucoup, Éverard, c’est presque tout à mes yeux maintenant que l’absence de vices. C’est de cela qu’on ne peut pas douter, tandis que les qualités peuvent se parer de tant de noms qui ne leur appartiennent pas ! mais qui peut suspecter la sobriété tranquille avec laquelle une âme forte use des biens de la vie ? de quelle équivoque, de quelle hypocrisie ont jamais besoin les obscures vertus domestiques ?

Tu me parlais de l’immense organisation de Mirabeau, toute pétrie de vices et de vertus. Je ne suis pas assez enthousiaste de la bigarrure pour trouver la statue de diamant et de boue plus belle et plus imposante que la statue d’or