Page:Sand - Lettres d un voyageur.djvu/249

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

tendent-elles le balancier de l’horloge ? est-ce pour elles que le timbre impitoyable mesure et compte le temps ? Il n’y a que toi ici, homme mélancolique, créature éphémère et craintive, qui saches quelle heure il est ; toi seul comprends cette voix lugubre qui part du clocher et qui coupe ta vie par petites portions égales, sans jamais s’arrêter ou se ralentir. Va, prends ton bâton et voyage ; tu pourras revenir et trouver la maison debout. Telle qu’elle est, elle durera plus que toi ; il faudra encore des années pour l’anéantir, un coup de vent te balayera peut-être demain !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

La nuit dernière, un grand vacarme a troublé mon sommeil ; on a sonné à rompre la cloche, on a frappé à enfoncer la porte. Enfin, à travers le guichet, on m’a crié, comme dans les comédies : — Ouvrez, de par le roi. — Cette fois je n’ai pas eu peur ; que peut-on craindre des hommes quand on a un passe-port en règle dans sa poche ? La gendarmerie a trouvé le mien orthodoxe, et pourtant les rayons de lumière qu’on aperçoit parfois le soir aux fenêtres de cette maison inhabitée, le dîner pythagorique qui passe tous les jours par le guichet, ont été pour quelques voisins un grand sujet de crainte et de scandale. D’abord la lumière m’avait fait passer pour un esprit ; mais le dîner, en révélant mon existence matérielle, m’a donné l’air d’un conspirateur. Il a fallu aller, ce matin, rendre compte de ma conduite aux magistrats. Mon innocence a été bientôt reconnue ; mais j’ai appris, chemin faisant, que, pendant ma retraite, la face de la France avait été changée. L’explosion d’une machine infernale, dont les résultats ont été bien assez funestes par eux-mêmes, a donné au despotisme de prétendus droits sur les plus purs ou sur les plus paisibles d’entre nos frères. On s’attend à des actes féroces de ce pouvoir insolent qui s’intitule l’ordre et la justice. Allons, soit ! Franz ; la vie est la vie ; il y aura à souffrir, il y aura à travailler tant qu’il y aura à vivre. Un désastre de plus ou de moins nous ren-