Page:Sand - Lettres d un voyageur.djvu/251

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de celui qui n’a besoin de personne, si ce n’est de Dieu ! Je reçois de vos nouvelles par une lettre de Puzzi : vous avez un piano en nacre de perle ; vous en jouez auprès de la fenêtre, vis-à-vis le lac, vis-à-vis les neiges sublimes du Mont-Blanc. Franz, cela est beau et bien ; c’est une vie noble et pure que la vôtre ; mais si nos saints sont persécutés, vous quitterez le lac, et le glacier, et le piano de nacre, comme je quitte Lavater, les pampres verts et la maison déserte, et vous prendrez le bâton du voyageur et le sac du pèlerin, comme je le fais maintenant en vous embrassant, en vous disant : Adieu, frère, et à revoir.



VIII

LE PRINCE


Car, enfin, à quoi servons-nous ? s’écria-t-il en se laissant tomber sur un banc de pierre en face du château. Quel noble emploi faisons-nous de nos facultés ? qui profitera de notre passage sur la terre ?

— Nous servons, lui répondis-je en m’asseyant auprès de lui, à ne point nuire. Les oiseaux des champs ne font point de projets les uns pour les autres. Chacun d’eux veille à sa couvée. La main de Dieu les protège et les nourrit.

— Tais-toi, poëte, reprit-il, je suis triste, et non mélancolique ; je ne saurais jouer avec ma douleur, et les pleurs que je verse tombent sur un sable aride. Ne comprends-tu pas ce que c’est que la vertu ? Est-ce une mare stagnante où pourrissent les roseaux, ou bien est-ce un fleuve impétueux qui se hâte et se gonfle dans son cours pour arroser et vivifier sans cesse de nouveaux rivages ? Est-ce un diamant dont l’éclat doit s’enfouir dans un caillou, aux entrailles