Page:Sand - Lettres d un voyageur.djvu/255

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opère en moi le retour de la résignation, et il arrive, une ou deux fois par mois peut-être, qu’entre la colère et l’imbécillité, je me sens dans une disposition bonne et calme, où je peux accepter et prier.

— Eh bien ! quand ton âme arrive à ces heures de calme et de soulagement, s’écria mon ami, cours t’enfermer dans ton grenier, prends une plume, écris ! Écris avec les larmes de tes yeux, avec le sang de ton cœur, et tais-toi le reste du temps. Quand tu souffres, viens avec nous ; ne va pas te promener seul là-bas, le long des grottes humides, au clair de la lune ; n’allume pas ta lampe à minuit, et ne reste pas les coudes appuyés sur ta table et le visage caché dans tes mains jusqu’au jour naissant. Ne nous dis plus qu’il y a des époques dans l’histoire où l’homme de bien doit se lier les pieds et les mains pour ne point agir. Ne nous dis pas que Siméon Stylite était un saint, et conviens que c’était un fou. Ne nous dis pas que la vertu est comme la chasteté des vestales et qu’il faut l’enterrer vivante pour la purifier. N’affecte pas cette tranquille indifférence et cette inertie volontaire qui cachent mal tes déchirements énergiques. Ou, si tu dis tout cela, ne le dis qu’à nous, qui essayerons de te combattre : ne le dis qu’à moi, qui pleurerai avec toi et souffrirai moins en ne souffrant pas seul.

Je serrai la main de mon ami, et lui répondis après un moment d’émotion : — Ne crois pourtant pas que ma seule indolence me fasse conseiller le repos à mes ardents amis. Quand on peut empêcher un forfait, c’est une lâcheté de s’en laver les mains comme Pilate ; mais quand on est, comme nous, perdu dans la masse vulgaire, la raison, et peut-être la conscience, commandent d’y rester. Que celui qui se sent investi d’une mission divine sorte des rangs ; Dieu l’appelle, Dieu le soutiendra. Il guidera sa marche difficile au milieu des écueils ; il l’éclairera, dans les ténèbres, du flambeau de la sagesse. Mais, dis-moi, combien crois-tu qu’il naisse de Christs dans un siècle ? N’es-tu point effrayé et indigné