Page:Sand - Ma Soeur Jeanne.djvu/15

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puisque j’en porterais un jour la responsabilité, devait devenir mien par l’effet de ma volonté. On me trouvait trop jeune pour qu’il me fût confié, je me sentais assez homme pour en accepter toutes les conséquences et pour mettre un terme, par ma décision, au désaccord douloureux qui régnait entre deux époux si tendrement unis d’ailleurs.

J’écoutai donc. Ils ne me savaient pas là ; ils allaient parler sans détour et sans réticence. La chambre de ma sœur était plus loin ; le domestique couchait en bas. Ils n’avaient à se méfier de rien ; et cependant par habitude ils parlaient à demi-voix, mais peu à peu, en discutant, ils s’oublièrent, et j’entendis fort bien.

— Le marier ! disait ma mère, es-tu fou ? Il faudra songer à cela dans dix ans.

— Dans cinq ou six ans ! répondait mon père. Je n’avais pas vingt et un ans quand je t’ai épousée.

— Aussi !

— Aussi j’étais trop jeune, tu veux dire ? J’ai fait des bêtises ; j’ai compromis ta dot ! C’est ta faute, ma chérie : tu voulais que je fisse le commerce régulier. Il n’y avait là, pour un ignorant comme moi, que de l’eau à boire. Aussi en ai-je bu ! mais j’y ai mis du vin plus tard, et la faute est diablement réparée.