Page:Sand - Ma Soeur Jeanne.djvu/156

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éventualité ? allez-vous la consumer dans la solitude où je suis forcé de vous laisser vivre ? Tenez, il y a près de moi un très-honnête jeune homme, instruit et d’une figure passable, M. Breton, mon médecin. Au commencement, il ne faisait aucun cas de vous ; à présent il vous juge mieux et vous apprécie. Si, dans un temps donné, ayant tout à fait renoncé à moi, vous sentiez quelque goût pour lui, il ne faudrait pas me le cacher, je serais heureux…

» — Non, non, m’écriai-je ; il me déplaît, tous les hommes me déplaisent. Prenez-moi pour votre fille et traitez-moi aussi sévèrement, aussi froidement que vous voudrez ; je serai heureuse, je vous bénirai de ne pas trop m’éloigner de vous.

» Il céda tout en se réservant sa liberté, mais je sus bientôt qu’il n’en usait pas. Il avait laissé partir la cantatrice, pour laquelle il n’avait aucun attachement sérieux. Il vivait très-retiré, préoccupé de sa santé qui n’était pas bien bonne à ce moment-là et se livrant chez lui à un travail historique sur Venise. Peu à peu il me permit de dîner avec lui et de passer la soirée, environ deux heures, chez lui, avec le médecin ou quelques amis intimes auxquels il me présenta comme sa fille adoptive. Ils étaient tous d’un certain âge, mariés ou voués comme lui au célibat pour des raisons