Page:Sand - Ma Soeur Jeanne.djvu/168

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veille d’épouser M. Brudnel, ne devais-je pas la féliciter en moi-même et voir en elle un exemple de la perfectibilité humaine, tout au moins de sa ductilité sous les souffles bienfaisants de l’honneur et de la charité ?… Un homme de bien avait pu faire refleurir la conscience dans un être tout instinctif, sorti d’un milieu impur, et j’étais en colère, je ne voulais pas croire à sa conversion, je raillais son besoin d’aimer, je rabaissais son intelligence, j’étais surtout offensé de l’effort qu’elle faisait pour conquérir mon estime ! Pourquoi tout cela ? pourquoi ma dureté, mes soupçons, mon injustice peut-être ? Pourquoi une répulsion qui ressemblait à l’antipathie ? Pourquoi une colère sourde comme si, en disposant d’elle-même, elle m’eût arraché un bien qui m’appartenait ? Est-ce donc que je pouvais être jaloux d’elle ? est-ce donc que je l’aimais encore ?

Eh bien, oui, il fallait bien ouvrir les yeux sur moi-même. Je l’avais aimée, je l’aimais toujours. Elle était mon idéal longtemps caressé, ma proie secrètement disputée, mon tourment fièrement maudit, l’espoir et la souffrance de ma jeunesse, le fléau de ma vie, l’écueil de mon honneur, si je n’échappais point au charme que, sans me connaître et sans le savoir, elle avait jeté sur moi.