Page:Sand - Ma Soeur Jeanne.djvu/179

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Pourquoi restai-je ? Je n’en sais rien, ce fut une faute.

Dolorès avait tiré un cordon de sonnette. Le petit nègre entra aussitôt, et, sans rien dire, prit une guitare posée sur un fauteuil et se mit à jouer la jota. Dolorès passa rapidement dans ses doigts les cordons de soie d’une paire de castagnettes d’ivoire. Celles de Manuela étaient en ébène et faisaient moins de bruit. Le négrillon jouait avec feu. Le son aigre de l’instrument ainsi manié et le vacarme enragé des castagnettes portaient sur les nerfs. En un instant, les deux femmes devinrent commes folles. Manuela voltigeait comme une colombe ou se tordait comme une couleuvre ; la Dolorès, plus nerveuse encore, s’était transfigurée. Ses formes anguleuses, sa taille trop longue, ses yeux passablement éraillés, tout en elle semblait se fondre dans un moule nouveau. Elle avait des jarrets d’acier et bondissait comme une panthère. Ridicule d’abord, elle devenait belle ; ses petits yeux noirs lançaient des étincelles rouges, son énergie faisait ressortir le regard voluptueux et les allures langoureuses de sa compagne. C’était vraiment une belle danse, un couple séduisant, un rhythme à rendre fou.

La danse finie, le négrillon disparut comme si la muraille l’eût escamoté. Dolorès jeta un châle sur ses