Page:Sand - Ma Soeur Jeanne.djvu/217

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— Et mon honneur ? lui dis-je avec des lèvres tremblantes et la sueur au front. Qui donc, excepté moi, croira que tu as partagé sa vie et porté son nom sans être sa maîtresse ? Qui croira que j’ai refusé la dot, le payement de ma honte ? Non, non, ma mère et ma sœur rougiraient de moi. Je ne vous aime pas, je ne veux pas vous aimer ; je ne veux pas être déshonoré !

Je tombai accablé, les coudes sur la table. Je ne voulais plus voir le visage de Manuela, ce visage devenu radieux, irrésistible sous l’influence de la passion. Un combat effroyable se livrait en moi. Je me voyais avili par mes désirs, et je ne pouvais pas m’en aller, fuir cette villa maudite, sauver ma conscience et ma dignité. Un charme diabolique me paralysait ; ma parole luttait encore, mon énergie intérieure était brisée.

Il se fit un moment de silence, puis elle se leva et posa ses mains sur mes épaules.

— Oui, dit-elle, j’ai compris, tu as raison, tu ne peux pas, tu ne dois pas m’épouser. Je suis perdue, je ne puis prendre le rang d’une femme honnête ; il y a des destinées comme cela… J’aurais dû comprendre la vie, et je n’ai songé à rien. J’ai vécu au jour le jour comme ma perruche, sans savoir où me conduisait mon esclavage volontaire. J’ai consenti à être l’odalisque qui ne peut être rendue à la dignité de femme légitime.