Page:Sand - Ma Soeur Jeanne.djvu/283

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connais de vue, et c’est déjà un gros petit commerçant assez laid et tout à fait nul. Quand j’ai vu la raison de Louise se perdre et que j’en ai su la cause, j’ai fait des réflexions qui n’étaient peut-être pas de mon âge. Louise était mon aînée, je n’avais, moi, que quinze ans. Maman doit s’en souvenir, je lui ai dit alors tout ce qui me passait par la tête.

— Je me souviens très-bien, répondit ma mère avec tranquillité ; tu regardais l’amour comme une maladie de l’âme, et tu en avais une peur mortelle, à ce point que tu voulais te faire religieuse pour y échapper. J’ai eu beaucoup de peine à te faire comprendre qu’on ne contractait pas ce mal-là malgré soi et qu’il était très-facile de s’en préserver, comme on se préserve des maladies physiques par un bon régime et de saines habitudes.

— Et tu m’as guérie de ma peur, reprit Jeanne, mais tu ne m’as pas ôté un certain éloignement que je sentirais encore, si le dieu d’amour en personne se présentait devant moi.

— Qu’appelles-tu donc le dieu d’amour en personne ? dit en riant ma mère, qui interrogeait Jeanne sur les sujets les plus délicats, sûre qu’elle était de la candeur immaculée de ses réponses.

— L’amour en personne, répondit Jeanne, c’est un