Page:Sand - Mademoiselle La Quintinie.djvu/140

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question de vie ou de mort, comme jusqu’ici il m’a semblé que vous vouliez l’entendre ?

Moi. — Je dis oui, et vous dites non ?

Lui. — Certes, je dis non ! Notre âme est l’abstraction que nos organes manifestent et doivent humblement servir. Cette abstraction vit elle-même d’abstractions supérieures ; elle les cherche, elle y aspire, elle les contemple et s’en empare. C’est d’elles qu’elle reçoit sa nourriture intellectuelle, c’est par elles qu’elle se forme, se développe et arrive à exister dans sa plénitude. Le culte de ces abstractions devient son besoin, sa vie, sa passion, son mérite et sa fin. M’accordez-vous cela ?

Moi. — Parfaitement, si nous nous entendons sur le mot abstraction.

Lui. — Disons des idées, des vertus, des croyances, si vous l’aimez mieux.

Moi. — Disons la foi, si vous voulez… C’est le résumé de toutes les conceptions de l’esprit, et c’est à elle que toutes les nobles aspirations se rapportent.

Lui. — La foi en Dieu ?

Moi. — Vous paraissez surpris de me voir invoquer Dieu dans une discussion de ce genre ?

Lui. — Si je suis surpris, je le suis agréablement. Eh bien, si vous croyez en Dieu…, et c’est là ce que je n’eusse pas osé vous demander, dites-moi si vous pouvez placer au nombre des abstractions qui se rapportent à lui, et qui développent son culte dans nos âmes, l’amour qu’une créature humaine vous inspire. Je comprends la charité, la justice, la générosité, la science des choses sacrées, le renoncement aux choses vaines, le travail, l’humilité, le sacrifice : tout cela mène au seul but sérieux de la vie, plaire à Dieu ; mais je ne comprends pas les désirs charnels élevés par l’imagination à l’état d’enthousiasme et