Page:Sand - Mademoiselle La Quintinie.djvu/165

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qu’on nous sépare… M’autorisez-vous à lui dire que j’espère vous convertir ?

— Si vous le croyez, dites-le, Lucie ; mais ne comptez pas que je vous aiderai à le faire croire. »

Lucie eut un moment de dépit où, pour la première fois, je vis la femme l’emporter sur l’apôtre.

« Vous êtes un roc ! me dit-elle ; vous n’êtes pas capable de la plus petite concession pour rester près de moi et me donner du courage ! Est-ce là aimer ?

— Oh ! oui, Lucie, m’écriai-je, c’est aimer avec la passion d’un honnête homme qui vous respecte, et qui ne veut pas se rendre indigne de vous par le mensonge.

— Et c’est justement pour cela que je vous estime ! répondit-elle avec un mélange de colère et de tendresse qui la rendit adorable. Je m’en veux parfois de tant tenir à un homme si fier et si têtu ! Mais comment faire ? Plus vous me résistez, plus je suis fière de vous, et plus je m’obstine à vouloir vous aimer ! »

Elle veut ! Hélas ! moi, j’aurais beau ne pas vouloir ! Je l’aime, je l’aime avec une passion brûlante comme un instinct, froide comme une fatalité. Pour l’obtenir je n’aurais qu’un genou à plier, une formule à prononcer… J’ai mes heures de tentation comme un dévot ; seulement, le tentateur ici, c’est l’esprit clérical. Il joue dans le drame de mon amour le rôle du diable.

Mais ne crains rien, la tentation peut être terrible et poignante à ceux qui ont pour juge le dieu des ténèbres. Moi, j’ai le Dieu de vérité ! Avec lui, la lutte du mensonge est courte, et la victoire est facile !

Ton Émile.