Page:Sand - Mademoiselle La Quintinie.djvu/23

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encore fini d’être naïf, et surtout je n’ai pas travaillé à cesser de l’être ; cela, je te le jure !

Et puis il n’y a pas de ma faute ! Si Élise m’eût aimé,… que sait-on ?… Mais point. Élise est toujours noire Lisette si gaie, si franche, si gentille, et, disons-le aussi sans reproche, si positive ! Toujours la même raison enjouée, le même esprit d’ordre, les mêmes rires en présence de tout ce qui sent V exagération. C’est comme cela, tu sais bien, qu’elle appelle tout ce qui émeut un peu vivement les autres, et il ne dépend pas de moi de n’être pas facile à émouvoir, si bien que je suis un exagère à ses yeux, et qu’elle me pardonne d’être comme je suis. Elle est bien bonne, j’en suis très-reconnaissant ; mais ce continuel pardon amical me laisse calme, et tu m’as permis de ne pas me marier sans amour.

Lucie a donc vingt-deux ans. Lucie est brune, assez grande ;… elle a des yeux… Eh bien, non, je ne peux pas te décrire Lucie… Demande-moi la couleur des yeux et des cheveux d’Élise, comment sont faits ses doigts et ses bagues, comment elle s’habille : je sais tout cela, et je pourrais t’en faire un portrait aussi minutieusement étudié que si j’étais peintre ; mais Lucie, non ! Pour moi, son image remplit le monde et ne saurait être concentrée. Mon cœur m’étouffe, et ma main tremble rien qu’à écrire son nom !

Son père est le général La Quintinie, que tu ne connais pas, je pense, et qui commande dans je ne sais quel département. Descend-il du La Quintinie des jardins du temps de Louis XIV ? Peu importe. Le grand-père maternel de Lucie, M. de Turdy, habite un château qu’il a sur le lac du Bourget. Lucie a été élevée par ce grand-père et par une grand’tante avec laquelle elle passe ses hivers à Chambéry. L’été, elle habite sans sa tante le manoir de l’aïeul.