Page:Sand - Mademoiselle La Quintinie.djvu/266

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M. Lemontier observait son profil socratique, évidé pour ainsi dire, comme si la maigreur des jeûnes n’eût laissé en saillie que les lignes osseuses et emporté la trace de tous les instincts. Le front seul avait poussé en hauteur, et par là ce n’était plus Socrate, mais quelque chose de plus et de moins, un Indien, un stylite. Le père d’Émile sentit que l’homme n’était pas méprisable, et il lui parla en bon italien bien rhythmé. Une lueur de satisfaction éclaira les traits du pauvre moine, qui, fourvoyé, ennuyé et résigné, s’était changé en statue.

Il raconta naïvement à M. Lemontier qu’il venait de Frascati, qu’il avait voyagé en chemin de fer, par mer, en diligence et à pied. De tout cela, nul étonnement, nul souci. Du changement de pays et de climats, aucune préoccupation. Nulle remarque sur son chemin. Il avait marché dans ses pensées, disait-il ; il n’avait rien vu.

« C’est très-beau de marcher ainsi, lui dit M. Lemontier, quand les pensées sont nobles. Vous pensiez à Dieu ?

— À Dieu toujours et à beaucoup de petites choses que je demandais à Dieu de m’expliquer.

— Par exemple ?

— D’abord pourquoi l’on tient à aller vite, comme si l’on croyait avancer en changeant de place ?

— Dieu vous a-t-il répondu ?

— Oui, il m’a dit que cela ne servait de rien, et que, la mort demeurant partout, il n’était pas besoin de se hâter pour la rencontrer.

— Et que lui demandiez-vous encore ?

— Si les anges voyagent.

— Et Dieu ?…

— Dieu m’a dit qu’ils allaient plus vite que la vapeur.

— Aussi vite que la pensée ?