Page:Sand - Mademoiselle La Quintinie.djvu/276

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

et regimber ! Tu ne travailles point, tu te laisses vivre au gré du diable ! J’ai été comme toi ; mais je prenais les bons moyens, je me mortifiais, je portais le cilice… Toi, tu as toujours la peau fine et les mains blanches. Tu attends les tentations, au risque d’y céder, et, quand elles viennent, elles te trouvent désarmé ! Je te le dis : tant que tu n’auras pas détruit sans retour la sensibilité du corps et de l’esprit, tu souffriras sans profit et sans honneur. »

Selon le père Onorio, l’état de perfection, celui qui a été préconisé par les ascètes, et qui représente à leurs yeux la véritable orthodoxie, le premier degré de la sainteté, c’est d’arriver à ne plus être capable ni de pécher ni de mériter. On devient une chose, la chose de Dieu. Il vous éprouve, on le met presque au défi de vous faire crier, tant on est endurci contre toute souffrance humaine, physique ou morale. Il peut aller jusqu’à vous ôter la foi, comme une trop grande compensation et une trop vive jouissance : on se résigne, on se passe de foi, on devient stupide, tant que dure l’épreuve ; mais, pour subir sans péril cette épreuve décisive, il faut avoir si bien détruit en soi le goût et la faculté de pécher, que Satan ne puisse rien contre vous. C’est la victoire de saint Antoine, c’est un nouveau degré de sainteté.

Ainsi ces hommes admettent pour eux une loi de progrès, comme nous la réclamons pour les sociétés ; mais quel étrange progrès à rebours est le leur !

Moreali avait adopté cette doctrine, il se débattait au seuil de la pratique. Il avait eu trop de passions et il avait encore trop d’intelligence pour se plier jusqu’à terre.

« Ne me demandez pas de m’humilier devant la jeune fille, dit-il. Devant le vieillard, devant le philosophe, soit : j’essayerai ; mais elle ! je ne le puis, c’est aller contre la loi de Dieu !