peur froide, sans pouvoir se rendre compte de ce qu’elle redoutait. Elle se débattit contre cet instinct de pusillanimité. Elle savait bien que son père était devenu un peu perfide ; mais il engageait sa parole, il en remettait le gage entre ses mains, il signait sa lettre. Elle se reprocha son doute et courut trouver M. Lemontier.
« Cette épreuve ne serait rien pour moi seule, lui dit-elle, mais je la trouve atroce pour mon grand-père et pour Émile ; mon père n’eût point imaginé cela. Ah ! mon ami, l’abbé Fervet me fait peur ! le voilà qui aime à faire souffrir !
— Lucie, répondit vivement M. Lemontier, qu’est-ce que c’est que cette claustration des carmélites ? Les prêtres ont-ils le droit de franchir la grille ?
— Non, aucun sans exception.
— Mais, le jour où vous chantiez dans cette chapelle, M. Moreali…
— Il était dans le chœur extérieur, séparé du nôtre par une grille et un voile.
— Mais au confessionnal ?
— Un mur sépare la pénitente du prêtre. D’ailleurs, je ne me suis jamais confessée à l’abbé Fervet, et je ne me confesserai plus à aucun prêtre.
— Jamais ?
— Jamais ! cela ferait souffrir Émile. Mais pourquoi me faites-vous ces questions-là ? Que craignez-vous pour moi ?
— Je ne sais, répondit M. Lemontier, qui répugnait à soupçonner l’abbé, et qui ne voulait pas éclairer Lucie sur certains dangers dont elle n’avait certes jamais conçu la pensée ; nous voici aux prises avec deux hommes bien différents l’un de l’autre, mais fanatiques tous deux : l’abbé qui regarde la souffrance comme un moyen de salut, le capucin qui dirait avec une parfaite douceur :