Page:Sand - Mademoiselle La Quintinie.djvu/292

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ne sait pas. Je dois me taire et laisser au temps et aux circonstances le soin de vous désabuser. »

M. Lemontier crut saisir quelque chose de volontaire dans cette réticence de l’abbé, et il lui sembla que celui-ci cherchait à lire dans ses yeux s’il savait autre chose de particulier sur la vie et la mort de madame La Quintinie. À son tour, il le regarda avec une attention déclarée. Il vit un nuage envahir ce front de marbre, et tout à coup, prenant le parti de l’attaque à tout hasard :

« Prenez garde, monsieur l’abbé, lui dit-il d’un ton froid et ferme, prenez bien garde !…

— À quoi, monsieur ? s’écria le prêtre perdant soudainement tout empire sur lui-même. De quelle diffamation, de quelle calomnie me menace-t-on à Turdy ? Quel libelle préparez-vous contre l’Église et contre moi ?

— Si vous vous emportez ainsi, répondit M. Lemontier en souriant, nous ne pourrons plus nous entendre, et pourtant j’espérais qu’au lieu de nous invectiver, nous nous quitterions emportant l’estime l’un de l’autre. Vous me refusez la vôtre, et me traitez de libelliste, rien que cela, monsieur l’abbé ?… Je ne sais pas répondre, moi, à de telles accusations ; je n’ai pas encore assez étudié le vocabulaire terrifiant du père Onorio !

— Mais que vouliez-vous dire, reprit l’abbé pâle et tremblant, en me jetant ce défi au visage : Prenez garde ?

— N’était-ce pas la conclusion de mon plaidoyer pour Lucie ? Prenez garde à sa raison, à sa santé, à sa vie ! Rappelez-vous que sa mère avait l’esprit faible, et que…

— Et que quoi ?… N’ayez pas de restriction mentale, monsieur !

— Vous m’avez donné l’exemple, monsieur l’abbé ! Permettez-moi d’en rester là et de remettre toute autre explication à un moment où vous vous sentirez plus bienveillant à mon égard. »