Page:Sand - Mademoiselle La Quintinie.djvu/306

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M. Lemontier observa la contenance morne et pourtant digne de l’abbé. Il était vaincu, mais non brisé. Il suivait de l’œil le sillage ouvert par la barque, et semblait livré à une méditation profonde plutôt qu’au sentiment amer de la défaite.

En chemin de fer, il parut ranimé comme s’il eût trouvé, sous l’influence de cette marche rapide, une solution ou une résolution. À Chambéry, il se tint dans la rue pendant que son compagnon entrait chez mademoiselle de Turdy. Lucie, prise à part, dit à M. Lemontier qu’elle lui donnait plein pouvoir de disposer du paquet comme il l’entendrait, et même de ne jamais lui dire ce qu’il contenait. Elle s’en remettait aveuglément à sa prudence et à son honneur. Il courut rejoindre Moreali avec un mot de la main de Lucie, qui l’autorisait complétement. Ils allèrent s’enfermer dans la maison du comte de Luiges, lequel était toujours à Aix.

« Attendez ! dit l’abbé au moment où M. Lemontier, prenant un canif sur le bureau du comte, allait ouvrir le sachet, j’ai besoin de mes forces, de ma raison, de ma mémoire. Je suis fatigué, j’ai faim !

— J’ai faim aussi, répondit M. Lemontier. Allons chercher une table d’hôte quelconque. Je vous invite à dîner, si vous voulez bien le permettre.

— Inutile de sortir, reprit l’abbé ; je vais envoyer chercher… »

M. Lemontier refusa. L’abbé le regarda en face, et ses yeux se remplirent de larmes ; mais il ne se plaignit pas du terrible soupçon muet, trop provoqué par sa conduite précédente. Ils sortirent, dînèrent ensemble sans se parler et rentrèrent chez le comte. C’était une vieille maison, riche, silencieuse, servie par de vieux domestiques dévots ; le jour baissant, ils apportèrent une lampe et disparurent.