Page:Sand - Mademoiselle La Quintinie.djvu/32

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Son regard est comme sa voix, il est franc et doux, non pas hardi, mais brave, trop souvent distrait peut-être, mais toujours pénétrant quand on l’obtient en plein visage, et bienveillant pour peu qu’on le mérite. Ses yeux sont d’une limpidité que je n’ai jamais trouvée dans les yeux noirs. Ils ne sont pas noirs du reste, du moins je les vois d’un ton orangé quand je parviens à me rendre compte de quelque particularité en la regardant ; car, malgré mon habitude de contempler avec un soin égal l’ensemble et les détails de toute chose et de tout être, ce qui me domine dans l’aspect de Lucie, c’est l’ensemble. Cela tient à ce qu’il m’est impossible de la regarder de sang-froid. Je ne sais quel vertige flotte autour d’elle ; c’est comme le frissonnement d’un nimbe.

Mais comme je dois t’impatienter avec mon récit qui n’avance pas ! Ce jour-là, il ne se passa rien du tout entre elle et moi, rien d’apparent du moins. Nous étions parfaitement étrangers l’un à l’autre, et je me taisais, dans la crainte de perdre une seule de ses paroles ou de me distraire de l’émotion délicieuse où je me sentais plongé. Qu’a-t-elle dit ? A-t-elle dit quelque chose ? De quoi a-t-on parlé autour de nous ce jour-là ? Je n’en sais absolument rien. J’étais dans un état surprenant ; il me semblait faire un rêve de somnambule, marcher au bord d’un précipice avec aisance et savourer l’enivrement de l’abîme avec la confiance d’un fou.

J’ai été seulement frappé de la manière dont elle m’a dit adieu. M. de Turdy engageait Henri à revenir souvent le voir, et, comme il s’était aperçu de mon admiration pour le beau site où s’élève sa demeure, il m’invitait à revenir aussi. Sa petite-fille et lui nous ont reconduits jusqu’au bord du lac, où deux barques nous attendaient. Dans la première, qui est celle de M. de Turdy, il n’y a, en sas des bateliers, de place que pour deux personnes.