Page:Sand - Mademoiselle La Quintinie.djvu/333

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faire revendicatrice devant l’usurpation de ses droits de souveraineté. Je luttai contre des raisons tirées de nécessités passagères, et qui me semblaient compromettre l’esprit et l’avenir de la religion. On m’imposa silence. Je n’eus point de dépit, mais j’eus beaucoup de douleur. Ma foi fut même ébranlée, et je dus avoir recours à l’ascétisme pour dompter en moi l’esprit de révolte. Un instant j’eus peur de penser comme Lamennais !

C’est alors que je rencontrai le père Onorio, qui me ramena à la soumission, à l’orthodoxie et au travail sur moi-même, bien autrement difficile et méritoire que la vaine science des discussions. Vous avez vu et entendu cet homme inspiré : vous savez maintenant non ce que je suis, mais ce que je voudrais être.

Sans la défection de Lucie, j’arrivais au bonheur, le seul bonheur de l’homme en ce monde, la recherche absolue de la perfection. J’avais depuis un an arrangé mon existence et disposé mes affaires pour une retraite définitive, où le père Onorio eût été mon maître et mon guide, Lucie mon élève et mon ouvrage. J’eusse versé dans cette jeune âme les trésors de sainteté que l’apôtre eût versés dans la mienne. J’étais, par l’habitude d’enseigner Lucie et de me servir des formes de raisonnement et de langage qui nous étaient communes, l’intermédiaire naturel entre la rude sainteté du vieillard et la délicate candeur de l’enfant.

Je rêvais pour nous trois un paradis de renoncement et de dévouement sur la terre. Je fondais ma chartreuse dans ce beau pays, et j’attendais le jour où Lucie, dégagée de ses devoirs envers son aïeul, n’aurait plus à lutter que contre un père sans légitime influence sur son esprit. En m’établissant non loin d’elle, je comptais être à même de soutenir jusque-là sa foi et de raviver son zèle. Lucie m’avait écrit plusieurs fois de suite qu’elle