Page:Sand - Mademoiselle La Quintinie.djvu/52

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les grands mots lâchés ; ils ne sont pas si effrayants qu’ils en ont l’air, et nous pouvons à présent nous entendre, en braves gens que nous sommes, pour rire des attaques de nos amis, et pour leur répondre ensuite, sans rire, que nous nous estimons véritablement l’un l’autre. Du moins, quant à moi, je le déclare. En pouvez-vous dire autant de vous-même, et ma question est-elle absurde, indiscrète ou inconvenante ? »

Cher père, je ne sais pas comment on dit à une femme qu’on est amoureux d’elle ; mais je n’ai trouvé rien de si naturel et de si aisé que de lui dire qu’on l’aime sérieusement. Je l’ai dit à Lucie sans trouble immodeste, sans génuflexion indécente, en la regardant bien en face, comme elle me regardait, et sans aucun reste de timidité. Je lui ai dit que je ne savais pas si c’était de l’amitié, de l’amour ou de la passion, vu que je n’avais aucune expérience de mes propres sentiments, mais que je me sentais lui appartenir entièrement. J’ai ajouté qu’elle ne devait pas se préoccuper de cette vivacité d’impression, que je ne savais pas encore l’importance et la durée que cela pouvait avoir dans ma vie, que cet embrasement subit de tout mon être pouvait bien tenir à ma jeunesse et à mon enthousiasme naturel, que je n’étais pas assez sot pour m’en faire un mérite et pour vouloir qu’elle m’en sût gré. Il n’y avait en moi qu’une chose à prendre en grave considération, mon respect pour elle, c’est-à-dire une foi aveugle dans sa loyauté et un dévouement qui pouvait être mis à l’épreuve la plus rude le jour où il serait accepté.

Je ne sais pas si elle fut très-émue en m’écoutant. Dès qu’elle eut compris, elle mit sa figure dans ses mains, et elle se tenait assise, les coudes appuyés sur ses genoux. C’est tout ce qui m’a frappé dans son attitude, car tu penses bien que je n’étais pas de sang-froid et que je son-